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La voiture est garée, j'arrive du travail dans cette nuit qui a soulevé quelques brouillards. Plume a compris qu'elle pouvait faire le tour de la maison et s'aventurer jusqu'à la rue, elle m'a entendu arriver et apparaît dans des miaulements aigus, la queue dressée comme une antenne.

Mais voilà que tout commence par des applaudissements, ce rideau de pluie qui s'abat sur l'orchestre, Itzhak Perlman sourit, s'ajuste. Les premières mesures du concerto pour violon de Beethoven me font revivre le trajet, une bande-son dans les phares. A minuit pile j'étais à Verdelais.

J'ai fait une infidélité au parcours habituel, tourné à gauche à Cérons, traversé la Garonne sur le pont inspiré d'Eiffel, un pointillé de lumières jaunes court à son sommet, on se laisse guider par cette cage de fer jusqu'au mur d'enceinte de Cadillac.

Je me retrouve rive droite de Dame Garonne et file vers Langon, sur cette départementale on croise moins de villes, on est dans le lit du fleuve et seule Sainte-Croix-du-Mont se laisse traverser dans ce tissu de nuit.

Je n'ai pas pris cet itinéraire par hasard, il fait parti des variations, de celles qui me rendent encore plus mélancolique, songeur, guidé par un désir d'abandon. Ce qui me guide et m'attire ce sont les hauteurs de Verdelais, lieu qui rassemble une basilique, un cimetière, une source et une demeure. Un pèlerinage en poupées russes sans aucune parenté si ce n'est la terre commune.

Ma 113 devient alors chemin de traverse, je la sais pas loin et cela me rassure, c'est ma part d'enfance qui devient passager ; on est nombreux à partager ce doux souvenir d'être à l'écart et tout contre en même temps, l'enfant allongé sur le canapé, à quelques mètres de la table où les adultes parlent fort. Ce soir le ciel était bleu, c'est ainsi que je l'ai vu, de ces bleus profonds qui se confondent à l'encre de la nuit, qui sous le projecteur de la lune s'amuse à rendre le plafond d'un sombre lumineux. La rue qui grimpe vers la place est couverte de ces petites brumes à même le bitume, un voile de petite marée. La ville était autrefois un haut lieu de pèlerinage dédié à cette statue retrouvée sous le pas d'une mule que montait une comtesse, l'image me séduit, j'imagine une femme se laissant mener au rythme d'une petite mule patiente. Dans le cimetière un personnage repose à un jet de pierre de la basilique, Toulouse-Lautrec. Dans ce petit cimetière à l'entrée du chemin de Croix l'artiste veille à ce que l'on oublie pas la part des anges et autres absinthes, antidotes à ce que l'on juge convenable...

J'ai fait une pause à la source, une pente verse à gauche et déboule sur une autre place, ici une eau claire résonne, j'aime y aller la nuit, laisser les phares guider mes pas jusqu'à ce petit filet qui en contrebas ne cesse de couler.

J'ai repris la route, on quitte le village et on monte encore un peu. Avant de plonger vers Saint-Macaire, là sur la droite, la demeure. Malagar.

Le concerto est fini, encore une pluie, plus lourde, plus épaisse qui remplit la salle, parfois j'y entends des grêlons qui frappent le plancher, j'aime ces interminables minutes qui s'étirent avant que tout s'éteigne et s'éloigne.

François Mauriac a vécu dans cette demeure. On domine la vallée de la Garonne ; ce soir tout là haut les lumières de Langon tapissent l'horizon. Cette terre est multiple, quand par la nuit je m'incruste, lorsque le monde dort et que le retour se fait, je vole, rapine à outrance ce que le temps laisse en sommeil. Ce n'est qu'un trajet, la course du pendule entre deux extrêmes, les recoins d'un bord à l'autre sans jamais ne cesser d'aimer la folle course des nuages qu'accompagne cette heure.

Saint-Macaire, je passe sous le pont de chemin de fer, je retrouve ma 113, ensemble, elle et moi on rentre à la maison.

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